Les observations définitives de la Cour des Comptes envisagent le temps de travail des BIATSS sous un jour nettement défavorable aux agents, avec une vraie tache aveugle sur le rôle du dialogue social. La Cour souligne le caractère très insuffisant des primes perçues par les BIATSS de l'ESR.
La Cour des comptes a publié début 2024 ses « observations définitives » sur le temps de travail des BIATSS (personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques et sociaux et de santé) dans l’enseignement supérieur. Ce type de publication lui permet de revenir sur les observations faites en référé (ici celui du 19 septembre 2019), de faire le point sur la mise en œuvre de ses recommandations et le cas échéant d’en formuler de nouvelles. Les conclusions du référé de 2019, comme ces nouvelles observations appellent, selon nous, un certain nombre d’analyses d’un point de vue syndical. En effet, ces travaux ne nous semblent pas avoir suffisamment pris en compte les réalités de travail des agents.
Retour sur les accords temps de travail des BIATSS
Les critiques de la Cour des Comptes portent moins sur le temps de travail des BIATSS que sur la manière dont il est calculé. Le dialogue social qui avait suivi la loi sur les 35h portait surtout sur la manière dont ce temps de travail était décompté. Les modifications de ces modes de calcul ont souvent été en défaveur des salariés. Elles ont souvent minimiser ou annuler le bénéfice de la réduction du temps de travail sur leur qualité de vie.
En ce qui concerne les personnels non enseignants de l’éducation nationale (y compris ceux de l’enseignement supérieur, qui dépendaient alors du même ministère), les négociations avec les organisations syndicales ont débouché sur un accord. Celui-ci avait été moins défavorable sans doute aux agents que bien d’autres. La mise en place de cet accord a fait l’objet de plusieurs textes réglementaires, en particulier l’arrêté du 15 janvier 2002, précisé par une circulaire.
Les irrégularités supposées de l’accord de 2002
Aujourd’hui, La Cour des comptes considère ces textes comme non conforme à la législation en vigueur sur différents points. L’argumentaire déployé ne convainc pas la fédération CFDT Éducation Formation Recherche Publique. Notamment :
- Sur les jours de fractionnement. La Cour rappelle d’abord que ces jours de fractionnement avaient pour objet d’encourager les agents à fractionner leur congés. Puis elle affirme que nos collègues doivent en être exclus parce que, précisément, leurs congés sont fractionnés ! Ou, plus exactement, parce que la nécessité du service imposant ce fractionnement, la mesure incitative n’est pas nécessaire et ne doit donc pas s’appliquer. Une logique bien étrange : il suffirait donc aux employeurs d’imposer d’autorité le fractionnement des congés pour que les salariés perdent le bénéfice de ces jours supplémentaires…
- Sur la prise en compte dans le temps de travail de 20 minutes de pause méridienne. La Cour en postule l’irrégularité en affirmant, sans le démontrer, que les agents ne sont pas pendant ces vingt minutes à la disposition de leur employeur. Or on sait que la grande majorité des agents prennent leur pause méridienne soit dans les bâtiments ou sur le campus de leur université, soit dans la proximité immédiate. Ils et elles n’hésitent pas non plus à décaler voire à supprimer cette pause lorsque le service le nécessite.
Les griefs en illégalité contre les textes de 2002 nous semblent contestables et éloignées des réalités professionnelles des agents. Au demeurant, la Cour des comptes n’étant pas le Conseil d’État, elle n’a pas le pouvoir de statuer sur la légalité des décisions administratives. Ces décisions restent en vigueur tant que l’autorité compétente ne les a pas révoquées ou que la justice administrative ne les a pas annulées.
Pour la CFDT, la chose est entendue : tant que les accords de 2002 ne sont pas abrogés, ils doivent s’appliquer ; et les accords locaux qui pourraient être conclus ne sauraient être moins-disants par rapport à ceux-ci.
L’indemnitaire des BIATSS : un scandale confirmé par la Cour
Dans ses observations définitives, la Cour insiste cependant sur la faiblesse des primes et indemnités perçues par cette catégorie de personnel. Elle n’avait pas souligné cet aspect dans son rapport initial. Or depuis des années la CFDT dénonce le décalage criant entre les indemnités perçues par nos agents et celles qui sont versées dans d’autres secteurs et d’autres versants de la fonction publique. C’est particulièrement vrai pour les agents de l’enseignement supérieur, de la recherche et des CROUS (Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires), dont les indemnités ont, malgré les nombreuses promesses, peu évolué depuis la mise en place du RIFSEEP (régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel). Le fait qu’une juridiction, dont la vocation est de garantir la plus grande parcimonie dans la dépense des deniers de l’État, analyse cette réalité constitue une confirmation spectaculaire !
Ce constat amène malheureusement la Cour à un raisonnement que nous ne partageons pas. Elle propose en effet la réévaluation de ces indemnités… mais à la condition sine qua non que cela s’accompagne d’une augmentation du temps de travail effectif. Un simple « travailler plus pour gagner plus », donc ? La CFDT le dit et le répète, cela ne correspond pas aux aspirations des agents, qui demandent aujourd’hui un meilleur équilibre entre leurs vies personnelles et professionnelles. Pire encore : ayant procédé à un chiffrage du supposé sous-travail des agents, la Cour démontre que la réévaluation indemnitaire qu’elle propose aurait un coût nettement inférieur à ce chiffrage. Autrement dit, ce « donnant-donnant » serait en réalité défavorable aux agents.
Pour la CFDT, il n’est pas acceptable de faire de l’augmentation du temps de travail une condition nécessaire de l’amélioration de la rémunération des BIATSS.
Mais, à l’inverse, il n’est pas envisageable de négocier sur le temps de travail tant que persiste cette insuffisance des rémunérations !
Et maintenant ? Quel dialogue sur les conditions de travail et de rémunération des BIATSS ?
Nous l’avons dit, les accords de 2002 était issus du dialogue social. Pour la CFDT, leur modification éventuelle ne peut donc que procéder de ce dialogue. En n’oubliant pas que les circonstances ne sont pas les mêmes en 2024: augmentation considérable de la charge de travail et du niveau de technicité requis, sous-qualification des emplois, sans parler de l’application difficile des accords sur le télétravail. Parler du temps de travail des BIATSS, c’est parler travail.
La CFDT y est prête. Encore faut-il que ce dialogue soit approfondi et loyal,. Son but devra être non pas de se conformer à des règles de calcul finalement largement arbitraires, mais d’améliorer les conditions de travail et de rémunération des agents.