La recherche est aujourd'hui mise à mal non seulement par les régimes autoritaires mais aussi aux Etats-Unis et dans les démocraties illibérales. Qu'en est-il en France ?
La recherche en France n’est pas à l’abri d’attaques contre ses institutions et leurs représentants en la personne des chercheurs et chercheuses, parfois aussi à titre personnel comme l’expose Dominique Costagliola, avant de nous parler plus généralement de l’état des sciences et de la recherche dans le monde actuel.
Un passage de cet entretien a paru dans le dossier « Rallumer les Lumières » consacré à la lutte contre les extrêmes droites du no 300 – Avril-mai-juin 2025 de Profession Éducation, le magazine de la CFDT Éducation Formation Recherche Publiques.

Épidémiologiste, spécialiste du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), engagée dans la lutte contre la Covid-19 et récompensée à ce titre par le Grand prix de l’Inserm 2020,
est une chercheure dont la voix connue du grand public pour le soin pris à expliquer la démarche scientifique lui a valu d’être harcelée par la complosphère antivax…En décembre 2021, vous avez été perquisitionnée à votre domicile…
Une enquête pour trafic d’influence avait été diligentée contre moi par le Parquet national financier à la suite d’une plainte de l’association Bon Sens, qui m’accusait d’avoir forcé un collègue anglais, Andrew Hill, à changer la conclusion de sa méta-analyse sur l’ivermectine – ce qui aurait permis à l’OMS de ne pas la recommander pour soigner la Covid. Or dans le même temps, un groupe d’experts du réseau Cochrane investiguait pour l’OMS. Celle-ci n’avait donc aucune raison de s’emparer des résultats d’un autre chercheur !
M’étant intéressée aux études sur cette molécule, j’en connaissais bien les biais et m’étais exprimée à ce sujet fin 2020. Aussi, quand un avis préliminaire favorable d’Andrew Hill avait paru début 2021, je lui avais signalé par mail mon étonnement qu’il n’ait pas tenu compte de la qualité des études. Un échange sur la méthodologie habituel entre chercheurs !
La conclusion très mesurée d’Andrew Hill sur l’efficacité de l’ivermectine en traitement de la Covid a déclenché un tir nourri de France Soir (son patron, Xavier Azalbert, est le président de l’association Bon Sens), avec photo de moi tendant un dossier à Marisol Touraine, présidente d’Unitaid, l’organisation qui finançait la méta-analyse d’Andrew Hill. Sauf que cette photo a été prise en 2013 quand, avec Bernard Begaud, nous avions remis à la ministre de la Santé d’alors notre rapport sur les médicaments. Cet article m’a valu un harcèlement sur Internet.
J’ai porté plainte contre Eric Chabrière, ancien bras droit de Didier Raoult, et contre X pour menaces de mort, et l’Inserm a demandé ma mise sous protection fonctionnelle. À ce jour, je n’ai pas de nouvelles de ma plainte, pourtant fondée sur des faits, des écrits circonstanciés.
Après la perquisition, je n’ai jamais été interrogée, et mon avocate a appris que l’affaire avait été classée sans suite en mai 2023. Quand elle a fini par obtenir la copie du dossier avec les détails de la plainte, il n’y avait rien sur un quelconque bénéfice de ma part. Regarder si les études sont à fort risque de biais ou non, c’est le BA-ba…
Un mot sur la sape de la science et de la recherche par l’administration Trump ?
Mon domaine de recherche – le VIH et autres maladies infectieuses – est gravement impacté : divisions de recherche et de surveillance fermées, chercheurs renommés licenciés, réseaux d’essais cliniques privés de financement, et restrictions sur les études internationales, notamment en Afrique du Sud – un pays avec une infrastructure permettant de faire de la recherche clinique et qui compte un nombre important de personnes infectées auprès desquelles tester des actions de prévention est fondamental.
Les universités avec des programmes de diversité vivent un chantage aux financements pour bannir certains mots, principes de leurs études. Comment travailler en épidémiologie sans intégrer des critères d’« inclusion » et de non-inclusion, sans travailler à limiter les « biais » des études ? C’est une régression absolue quand on sait qu’en biologie et en médecine, les États-Unis sont le pays qui présentent le plus d’articles, de brevets, de découverte ! Sans compter les méfaits des politiques restrictives en matière d’accueil des scientifiques étrangers car ils participent fortement au rayonnement de la science américaine, comme la Prix Nobel d’origine hongroise Katalin Karicó pour le vaccin ARN contre la Covid.
Comment travailler en épidémiologie sans intégrer des critères d’« inclusion » et de non-inclusion, sans travailler à limiter les « biais » des études ?
Qu’en est-il de l’Europe ?
Au niveau mondial, 45 % du financement de la recherche médicale provenaient des États-Unis. Je ne crois pas que l’Europe puisse les compenser. On nous parle d’accueil alors qu’on peine à recruter ou à faire revenir les étudiants envoyés aux États-Unis pour faire leur postdoctorat. Il faut arrêter la plaisanterie ! D’autre part, il n’est pas dit qu’ils s’accoutumeront car notre environnement administratif et financier ne correspond pas à ce qu’ils connaissent aux États-Unis. Cependant, il existe déjà des structures permettant d’accueillir des chercheurs de très haut niveau, c’est le cas notamment dans le cadre du Conseil européen de la recherche (ERC)…
Concernant la recherche en France, y a-t-il des signaux faibles d’une attaque comme celle entreprise aux États-Unis ?
la gestion de la crise sanitaire en France a causé des dégâts
Malgré une loi de programmation, la recherche a subi des coupes budgétaires répétées. Il y a donc de fortes interrogations sur la place qui, de fait, lui est accordée. Et quand on considère les discours anti-wokistes et les désinformations durant la crise de la Covid – aspects très développés dans certains partis politiques –, on peut se dire qu’on n’est pas à des années lumière de ce qui se passe aux États-Unis. Mais on n’a pas de bannissement de champs entiers de la recherche, notamment sur le climat, ou même en santé. Aujourd’hui aux États-Unis, il va être interdit de travailler sur les inégalités sociales de santé alors que c’est un enjeu majeur !
Je voudrais souligner combien la gestion de la crise sanitaire en France a causé des dégâts. Elle a durablement fragilisé la confiance envers les autorités, notamment à cause d’un manque de transparence et de cohérence dans les décisions prises, comme pour le port du masque. Les pays ayant pris des mesures drastiques les plus précoces et expliqué leurs choix, comme le Danemark, ont mieux réussi. Une communication honnête, qui implique de savoir admettre ses erreurs et d’écouter le public – plutôt que de s’en remettre à des sociétés de conseil – quand on veut qu’il adopte une attitude prosociale (mettre le masque, se faire vacciner…), sont essentiels pour restaurer la confiance.